Mise en contexte
Nous avons décidé de former un comité de mobilisation s'adressant à l'ensemble des travailleurs et travailleuses à l'intérieur de l'hôpital de Verdun. Notre action visait d'abord à créer un espace où discuter de nos conditions de travail. La politique de terrain, ou, en d'autres termes, l’organisation politique des travailleurs eux-mêmes dans leur milieu, rend possible une prise de conscience collective de nos conditions et des possibilités que nous avons de les modifier. Toutefois, nous avons été particulièrement déçus de l'attitude des représentants syndicaux locaux de la CSN et de la FIQ qui se sont opposés à notre initiative.
Le syndicalisme a permis des gains historiques aux travailleurs du Québec. Nous avons du respect pour les ouvriers et les syndicalistes qui ont mené une lutte acharnée afin qu'encore aujourd'hui le syndicat permette un rapport de force face à l'employeur. Nous nous permettons cependant de rappeler qu'avant de devenir des centrales, les syndicats sont nés de l'union locale de travailleurs spécialisés. Quelle ironie que nos représentants syndicaux s'opposent aujourd'hui à la création d'un comité de travailleurs !
L'État québécois veut privatiser la santé, mais pour y arriver il doit d'abord dégrader les conventions collectives de ses employés du secteur public, c'est-à-dire les nôtres. Dans ce contexte, les négociations de nos syndicats avec le gouvernement seront déterminantes pour nos conditions de travail et les services offerts aux patients. C’'est parce que nous craignons le pire que nous jugeons qu'il est impératif de s'organiser maintenant et avons eu l'idée de ce comité de mobilisation. Néanmoins, à la suite de l'opposition de nos représentants syndicaux, nous nous interrogeons maintenant sur la capacité de nos syndicats locaux à mener une lutte stratégique.
Le 13 mai, Ariane Bouchard, infirmière, rencontre Charles Boulanger, représentant syndical pour la FIQ au CSSS Sud-Ouest-Verdun. Elle lui explique les objectifs de la création du comité de mobilisation et l'informe de la volonté du comité de collaborer avec le syndicat, volonté aussi exprimée dans le tract d'invitation à la réunion. L'ordre du jour de la réunion est remis à M. Boulanger. Il est ensuite affiché sans aucune modification. Entre cette rencontre et la première réunion du comité le lundi 24 mai 2010, ni les représentants de la FIQ, ni ceux de la CSN ne nous contactent même si nos coordonnées sont à leur disposition.
Le 24 mai, la première réunion du comité de mobilisation s'est tenue dans la salle de repos au sous-sol. Quelques employés de l'entretien sont présents pour cette rencontre initiale. Lors de notre mobilisation et durant cette réunion, plusieurs travailleurs ont manifesté qu'une telle initiative répondait à un réel besoin et ont montré de l'enthousiasme à ce que «quelque chose» se passe enfin, peu importe qu’il soit amorcé par le syndicat ou par des collègues. Cependant, l'ambiance change lors de l'arrivée des représentants syndicaux. Nous tenons particulièrement à déplorer l'attitude d'intimidation manifestée par 3 représentants de la CSN, dont Guignard Elina et Denise Provost, qui ont refusé de s'asseoir même après que nous leur en avions explicitement fait la demande, en spécifiant que nous trouvions intimidant qu'ils soient debout alors que tous les travailleurs étaient assis. Ils ont de plus ignoré les tours de parole, interrompant les autres ou chuchotant entre eux pendant que d'autres parlaient. Peu importe leurs arguments contre ce comité de mobilisation, ce manque de respect n'a pas sa place dans un débat politique.
La réunion du 24 mai s'est résumée à une réponse aux critiques des représentants syndicaux sur notre ordre du jour qu'ils ont interprété comme une tentative d'imposer des moyens de pression. À ce sujet, ils ont affirmé que des employés revendicateurs qui agiraient selon une décision du comité de mobilisation ne pourraient pas bénéficier de leur protection syndicale. En fait, plusieurs points à l'ordre du jour, tel que celui sur le front commun, avaient comme but premier d'informer les gens, par exemple sur le déroulement des négociations et de favoriser la réflexion collective à ce sujet. Enfin, le syndicat affirme qu'en tant que seul représentant légal des employés, il est le seul à pouvoir initier une réflexion sur les conditions de travail.
Pour un retour à une démocratie participative
L'objectif du comité de mobilisation était purement l'inverse de l'imposition de moyens de pression. Nous voulions offrir un espace de dialogue entre travailleurs afin de débattre de propositions sur les façons de rendre notre travail moins pénible. Lors des dernières assemblées syndicales spéciales FIQ, les idées originales et les critiques des travailleurs n'ont eu aucun impact sur la formule déjà toute faite de moyens de pression que nous devions accepter ou refuser, mais visiblement pas modifier. Pourtant le pouvoir dans un syndicat appartient aux travailleurs et les assemblées locales se doivent d'être souveraines, c'est à dire que les syndiqués ont droit au dernier mot quant aux mesures qui seront prises dans leur milieu de travail.
25 mai - L'administration n'avait pas réagi aux affiches du comité de mobilisation et ne s'était pas présentée à la réunion du 24 mai. Cependant, le 25 mai, le responsable des relations de travail des ressources humaines contacte Ariane Bouchard pour lui dire que les réunions entre employés à l'intérieur de l'hôpital sont illégales et que seul le syndicat peut représenter les employés auprès des patrons. Monsieur Poirier, des ressources humaines, tient à défendre la légitimité du syndicat et évoque même la loi sur le maraudage syndical. Il n'hésite pas à ajouter qu'en cas de réunion, la sécurité expulsera les travailleurs présents.
Force est de constater que les ressources humaines et nos syndicats locaux s'entendent sur les raisons de ne pas tolérer d'initiative politique de la part des travailleurs.
26 mai - La réunion est annulée. Les travailleurs sont avisés et les affiches retirées.
Mécontentement généralisé
Les représentants syndicaux eux-mêmes reconnaissent leur difficulté à intéresser les travailleurs aux activités syndicales et verbalisent une perte de contact avec leurs membres. Mais, les moyens sont-ils réellement pris pour remédier à la situation?
À la suite des discussions avec bon nombre de travailleurs, nous ne pouvons que faire le constat suivant : il existe une déception généralisée face au travail du syndicat, voire une perte totale de confiance dans certains cas. Les employés déplorent un manque de contact avec leurs représentants qui sortent rarement de leurs bureaux pour les rencontrer. C’est d’ailleurs ce que certains travailleurs ont exprimé à mainte reprise à leurs représentants lors de la réunion du 24 mai. Clairement, le travail de terrain n'est pas organisé aussi convenablement qu'il pourrait l'être. Nous sommes conscients que nos représentants syndicaux ont raison d’affirmer qu’attirer les gens aux assemblées syndicales et les intéresser à la politique est difficile, mais un premier pas à franchir est de rétablir l’espace du lieu de travail comme endroit où il est possible de parler de nos conditions, où l’information circule autrement que sur papier, où la réflexion peut se faire collectivement à tout moment et non pas exclusivement pendant les assemblées syndicales. À noter : lors de nos différentes tournées des unités, personne, même dans un contexte global de surcharge de travail, n’a refusé de discuter avec nous. Au contraire, plusieurs ont salué notre initiative et nous ont encouragé à continuer même sans l'appui du syndicat.
L'avenir
Notre objectif de base étant de repolitiser notre lieu de travail et d'encourager la réflexion critique et collective sur les enjeux de notre système de santé, nous entendons continuer dans cette voie, avec ou sans le syndicat, tant que des travailleurs seront en accord avec notre démarche.
Ariane Bouchard, infirmière et Ousmane Thiam, infirmier
Lettre remise aux syndicats locaux le 14 juin 2010
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